mardi 30 avril 2019

Un nouveau groom à l'hôtel

Novélisation



La voiture de madame D. s'éloignait sous le ciel gris. Je m'exclamai :

- Ce n'est pas rien de gagner la fidélité d'une telle femme dix-neuf saisons d'affilée...
- Oui, monsieur, me répondit-on.
- Elle m'apprécie beaucoup, vous savez.
- Oui, monsieur.
- Je ne l'avais jamais vue comme ça auparavant, dis-je, perplexe.
- Non, monsieur.
- Elle tremblait comme un chien qui chie, avouai-je.
- Juste. ”

Je me retournai pour donner mes ordres au groom.

- Courez à la cathédrale Sainte Marie à Brukenplatz, récupérez un demi-cierge et quatre klubecks de monnaie, allumez-le dans la sacristie et récitez un rosaire. Allez chez Mendl's et prenez un pain au chocolat puis donnez la monnaie éventuelle au cireur estropié.

- Tout de suite, monsieur. ”

Je regardai le groom qui se précipitait lorsque je m’aperçut que je n'avais, ciel ! encore jamais vu ce garçon.

- Pas si vite ! Qui es-tu ? ” l'interpellai-je.

En face de moi, le jeune groom se tenait bien droit. Il semblait intimidé car son regard restait rivé sur ses chaussures. Son allure était fluette et reflétait bien sa récente arrivée dans cet hôtel. Il avait l'air empoté et naïf, ce qui me laissait penser que sa présence ici serait de courte durée. Ses grands yeux d'ébène s'accordant parfaitement à ses cheveux exprimaient l'anxiété et l'appréhension tandis que ses lèvres pincées attendaient la suite de mes questions. Mais contre toute attente l'uniforme violet seyait parfaitement à son teint hâlé malgré son calot mis de travers. Il avait gardé un visage d'enfant, bien rond et joufflu, et avec son nez retroussé on ne lui donnait que seize ans. Au-dessus de ses lèvres il laissait apparaître une fine moustache (qui était en vérité un trait dessiné grossièrement au crayon, ce jeune homme était sans aucun doute imberbe).

- Je suis Zero, monsieur. Le nouveau groom, me répondit-il peu sûr de lui.
- Zero dis-tu ? Je n'ai jamais entendu ton nom, je ne t'ai jamais vu. Qui t'a engagé ?
- Monsieur Mosher, monsieur."
Perplexe, je décidai de m'assurer des dires de ce garçon.
- Monsieur Mosher ! Criais-je.
- Oui, monsieur Gustave ? me répondit-il instantanément.
- Dois-je comprendre que vous avez engagé ce jeune homme au poste de groom subrepticement ? le questionnai-je.
- Il a été engagé pour une période d’essai, sous réserve de votre accord, bien sûr.
- Bien, merci monsieur Mosher. ”

Je retournai mon attention sur Zero, effacé, qui attendait patiemment mes instructions.

-Tu vas maintenant subir un entretien officiel.
- Hum.. dois-je d'abord allumer le cierge, monsieur ? demanda-t-il craintif et peu sûr de lui.
- Non", répliquai-je. 

Je me dirigeai à l'intérieur de l'hôtel en l'invitant à me suivre et décidai de commencer l'entretien sur le chemin ;

- Expérience ?
- Hôtel Kinsky, apprenti à mi-temps, six mois. Hôtel Berlins, serpillière et balais, trois mois. Avant ça récurage de poêle dans un..
- Expérience : 0", le coupai-je peu convaincu. 

C'était certain : ce groom sans aucune expérience n'avait rien à faire dans un endroit prestigieux comme le Grand Budapest Hôtel. 

Nous slalomions entre les clients.

- Instruction ? repris-je.
- J'ai appris la lecture et l'orthographe, je-j'ai commencé l'école primaire.. j'ai presque fini d…
- Éducation : 0. Famille ? ”

Il mit du temps à me répondre. Je vis de la tristesse naître dans son regard, et je ne pus m'empêcher de ressentir une certaine compassion.

- 0..." avoua-t-il. 

Nous étions montés dans l'ascenseur. Je m'assis sur la chaise et restai pensif un instant. Ma décision était déjà quasiment prise : je ne pouvais me résoudre à accepter ce malheureux garçon. Malgré tout je voulus lui poser cette dernière question qui me brûlait  les lèvres :

Pourquoi souhaites-tu être groom ? ”

Il sembla étonné de ma question et me répondit en toute franchise ;

- Eh bien, qui ne le voudrait pas ? Au Grand Budapest, monsieur.. C'est une institution. ”

Contre toute attente ce jeune homme était perspicace et intelligent, tel le parfait groom, ce qui me surprit. Après tout il avait une bonne posture et semblait prêt à accomplir n'importe quelle tâche, comme un soldat. Son regard me promettait qu’il serait loyal et dévoué. J’esquissai un sourire.

- Excellent ! ”

A son tour, il eut un sourire, son premier sourire depuis le début de notre conversation.
 
J'étais décidé. Zero avait réussi à m'émouvoir, et Dieu sait à tel point cela m'était difficile. Sa candeur, sa solitude, sa détresse ainsi que son écoute et son innocence me rappelaient ma jeunesse en beaucoup de points. J'allais lui inculquer tout mon savoir et lui offrir une chance de devenir un groom du Grand Budapest Hôtel !



Amélie Forêt et Ilona Delise 1ère L2


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