jeudi 16 novembre 2017

Mac-Norton, l’Homme-Aquarium

A ses débuts le cinéma ne se distinguait pas des arts forains, aucune salle ne lui était consacrée, il était une attraction au même titre qu'un numéro de cirque, et trouvait sa place au milieu de spectacles où se produisaient des artistes comme le fameux Homme-Aquarium, dont le petit-fils nous rapporte ici l'histoire.


Photo Jean-Paul Delair

 
Le Cinéma mène à tout, pourrait-on dire. En tout cas c’est ce que l’on pouvait penser au début du 20ème siècle, lorsque celui-ci fit son apparition et qu’il ne se bornait pas uniquement à se projeter dans des salles obscures. C’était un tout, une sortie dominicale, une soirée ou une matinée de divertissement. C’est là que se place l’attraction dont on déniche la publicité dans les archives des journaux d’époque, dans la ville de Châlons-sur-Marne. Films, musiques, artistes, et buvette à l’entracte, pourquoi pas. 
 
On y parle de Mac-Norton, l’Homme-Aquarium. Qu’était donc ce phénomène ?

Là, je peux en parler, puisque cet homme fut mon grand-père et que je me suis intéressé à sa carrière, en recherchant dans des archives, vieilles coupures de journaux, anciens souvenirs et, modernité oblige, sur Internet, ce qui se rattachait à cet homme. 

Lorsqu’il se produit sur scène, à Châlons ou ailleurs, il a plus de 40 ans et déjà une longue carrière derrière lui, où les tournées s’enchaînaient. Sur les affiches lithographiées qu’il a fait imprimer et qui sont placardées dans les villes où il passe, il se présente ainsi, tenant une grenouille à la main prête à être engloutie, sous le titre de « L’Homme-Aquarium » :

« Je dis...être un phénomène scientifique extraordinaire de l'ordre des quadrupèdes mammifères à 4 estomacs.
Je bois...
  • 1° une pièce d'eau de 220 litres en 2 heures 30 mn.
  • 2° 100 bocks en 10 mn.
  • Je mange...52 pains secs de 4 livres en 48 heures.
  • J'avale... Poissons, tortues d'eau, grenouilles, Water Snakes, Vivants et par douzaines.
  • Je les garde... Au plus longtemps 2 heures dans les poches de l’estomac, tel, Jonas dans la baleine, puis je les restitue au grand jour tout vivants et plus frétillants que jamais… »

Ce que laisse évoquer les amphibiens et autres carpillons d’ornement aperçus et suggérés en transparence dessinés sur son gilet.

Ce sont là les performances qu’il a pu faire, soit en présence de journalistes, soit devant des sommités médicales, et qui sont prouvées, montrant ainsi le caractère exceptionnel de ses capacités stomacales. Car il ne bluffe pas, c’est un véritable méryciste. Nom, plus ou moins, inventé pour l’occasion par le Docteur Farez de la faculté de médecine de Paris se basant sur le fait que certaines personnes consciemment ou inconsciemment font remonter leurs aliments, un peu comme les bébés dont on attend le rot digestif ! Là, le méryciste devient acteur de cette propriété.

Enfin notre personnage possède cette faculté, dont il joue étant gamin, après s’être aperçu qu’il pouvait à volonté agir sur son estomac pour épater les copains. Ce n’est que rigolade pour lui, ayant troqué les aliments par de l’eau qu’il peut faire remonter avec force tel un jet d’eau. Il habite Paris, non loin du jardin des plantes et de son parc zoologique.

Il y a là l'éléphant, seul représentant de son espèce dans la capitale française, en cette fin du XIXème siècle. Comme il le racontera lui-même, par la suite, au reporter du "Journal", il s'amusait à envoyer de l'eau, qu'il venait d'avaler, et qu'il pouvait faire ressortir en jet, pour arroser l’ énorme pachyderme, qui ne se gênait pas pour l’asperger à son tour, à la grande joie des badauds. Et fier de lui, il rentrait à la maison. Sifflotant, les mains dans les poches.
L’enfant grandit, continue à améliorer sa technique pour le plaisir, mais ne songe pas encore à en faire son gagne-pain. Mais les planches l’attirent quand même. La preuve, il devient chanteur-figurant auprès de Dranem, le célèbre fantaisiste. Il fera sensation le jour où en pleine représentation il ose faire un magnifique jet d’eau qu’il expulse par la bouche. Ce qui évidemment ne passe pas inaperçu et lui servira plus tard… Mais c’est bientôt l’appel sous les drapeaux. Avant cela, et c’est là que le hasard de cette histoire rejoins la ville de Châlons, nous sommes certainement en 1896, il rend visite à son frère qui effectue sa période de 28 jours obligatoire, deux ans après l’incorporation, au camp de Châlons-sur-Marne. On lui demande de faire son numéro d’arroseur pour amuser les soldats et un loustic l’interpelle : «  Et si tu avalais une grenouille ? ». Piqué au vif, il accepte et ça marche ! L’idée est lancée. Et il dû y resonger en souriant lorsqu’il repassera bien plus tard par cette ville, dans le cadre de ses tournées.
De retour de son propre service militaire, sérieux, il monte une affaire n’ayant aucun rapport avec sa faculté peu banale. Les circonstances font que son associé, malhonnête, le laisse en plan après avoir mis l’entreprise en faillite. Il repense alors à ses capacités stomacales et voilà comment il débuta vraiment, après avoir pris le nom de Mac-Norton. Des impresarios s’intéressent au phénomène et cela l’entraînera de cirques en music-halls à travers le monde. De la Russie des tsars devant Nicolas II à l’autre côté de l’Atlantique découvrant ainsi l’Amérique du Sud. Après la guerre de 14-18, Il se produit principalement en Europe et en France, avec des contrats incluant les salles de cinéma, les casinos et les endroits où les spectateurs se pressent pour découvrir ces baladins, ces nouveaux saltimbanques et bien sûr l’unique Homme-Aquarium. C’est la belle époque, les gens ont d’autant plus envie de se divertir au sortir de ces années de conflits.
En quoi consiste son numéro, dont il est précisé à l’attention des directeurs de salles : « (…) ce phénomène est présenté de la manière la plus élégante qu'il soit, et d'une façon très gaie, et peut être vu par les personnes les plus délicates et les plus susceptibles » ?
J’en ai fait une petite synthèse, car hélas, il n’existe, à ma connaissance aucun document cinématographique ayant pu immortaliser son spectacle.
A son entrée sur scène, selon les lieux, il se fait apporter par des serveurs habillés en garçons de café, une cinquantaine de bocks qu'il avale devant les spectateurs. Les bocks sont déposés devant lui et il les avale un à un. L’orchestre du lieu l’accompagne alors avec la musique dont l’artiste a fourni les partitions.
Après cela, il fume tranquillement une cigarette, pour bien montrer que tout le liquide a bien été avalé et que cela ne le dérange pas. Il plaisante un peu avec les spectateurs et annonce qu'il va faire " la fontaine"! Et de fait il expulse l'eau qu'il vient d'avaler en un délicat jet d'eau avec lequel il se lave les mains, dans une coupelle déposée sur une table devant lui. Ou bien il fait "la douche" et l'eau rejaillit avec force, mais toujours sans effort apparent, avec une bonhomie certaine, accompagné d’un commentaire au second degré.
Mais c'est après qu'il devient l’Homme-Aquarium. C'est la partie la plus difficile et la plus délicate.
"Une partie de l'eau est restée stockée dans une seconde poche de l'estomac que le commun des mortels ne possède pas", dit-il. Cette poche, contrairement à l'estomac ne secrète pas de sucs gastriques qui ordinairement attaquent les aliments. Ce qui va lui permettre de poursuivre son numéro. C'est tout au moins ce qu'il explique en partie à son public, lui laissant croire à une disposition spéciale de son anatomie.
Il sort alors d'un récipient 5 grenouilles, et 6 poissons rouges, et un à un, il va les avaler !
Une fois qu'il a accompli cela, il rallume une cigarette, en avale quelques bouffées, pour bien montrer que cela ne dérange pas les animaux qu'il vient d'ingurgiter. Il les garde ainsi quelques instants tout en devisant avec les spectateurs…
Il pourrait les garder ainsi plus de 2 heures. Les grenouilles pourraient rester plus longtemps, mais les poissons rouges, ne l'oublions pas sont maintenant dans une eau, qui, si elle est propre et pure, n'en est pas moins à la température du corps, soit environ 37 degrés centigrade.
Il annonce ensuite qu'il va appeler par leur nom chacun des poissons et grenouilles et que ceux-ci « referont surface ». Il les fait ainsi remonter à la demande, par le procédé qui est le sien et récupère délicatement les batraciens et autres petits carassins dorés à la commissure des lèvres, avant de les remettre dans leurs bocaux respectifs, tout frétillants et bien vivants.
Il salue alors son public. Un dernier air de musique l'accompagne. C'est la fin du numéro. Mac-Norton redevient Claude Louis Delair.
Les gens se souviendront longtemps de ce personnage au look très classe et décalé : habillé d’un costume à queue de pie noir, avec gilet blanc en coton piqué, chemise à col cassé et nœud papillon blanc avalant de la manière la plus naturelle qui soit ces petits animaux aquatiques, qui, nous dit-on, connaissaient parfaitement leur partenaire.
Jean-Paul Delair

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