lundi 22 janvier 2018

L'ellipse finale

De quelle façon Jean Pierre Melville a-t-il manié l'ellipse pour vous piéger et vous surprendre dans la fin du Samouraï ?


 
Dans le premier plan, Jeff Costello se trouve dans sa voiture, un insert sur son arme nous montre qu'elle est chargée, il est prêt a tirer. Ensuite nous suivons Costello dans la salle de jazz sans transition, grâce à un montage cut. Là est l'ellipse.

Nous continuons à suivre Costello avec un panoramique épaule. Il donne son chapeau à l'hôtesse des vestiaires mais laisse le ticket qui lui permet de récupérer son emblématique chapeau.

Mais pourquoi donc?

Nous accompagnons Jeff Costello : un plan d'ensemble nous fait entrer dans la salle de jazz, bondée. Costello se dirige vers le bar. Il met ses gants ostensiblement, il va commettre un meurtre et ne le cache pas. Un champ contre champ s'effectue pour mettre en valeur le regard terrifié du barman qui pense que Costello vient pour le tuer et le regard fixe sans émotion de Costello.

La pianiste entre en scène, un panoramique suit son arrivée puis un plan d'ensemble montre l'orchestre au complet. Le plan rapproché sur le visage de la pianiste nous dévoile un sourire et une incrédulité concernant les événements à venir. 

Nous revenons au point de vue de Costello : le champ contre champ perdure avec dans le regard les mêmes craintes du barman et la même impassibilité de Costello. 

Un panoramique épaule nous amène à la pianiste en suivant les pas de Jeff. Un très gros plan sur les visages de la pianiste et de Costello nous souligne l'étonnement de la pianiste de voir Costello face à elle. Un champ contre champ mime l'échange de regard entre les deux personnages. Puis un insert avec panoramique vertical nous dévoile l'arme de Jeff Costello. Le champ contre champ entre les regards des deux protagonistes continue puis il y a un coup de feu hors champ. Costello est tué.

Un plan d'ensemble sur la salle de jazz nous montre le calme qui fait place à l'affolement. L'insert sur l'arme de Costello nous dévoile que le chargeur est vide, sans aucune balle. 

Vous vous attendiez à ce que Costello tue la pianiste? Eh bien non, Melville vous a bien eu ! En entrant dans le club de jazz, Costello savait pertinemment que la mort l'attendait. L'ellipse nous a caché le moment où Costello vide le chargeur de son arme. Lorsque Costello laisse son ticket de vestiaire, c'est parce qu'il sait qu'il ne reviendra pas le chercher. De même quand il met ses gants il les met sans se cacher du barman car il sait que dorénavant il n'a rien à perdre. Les longs échanges de regards avec la pianiste étaient-ils des adieux ? 

Lorsque le coup de feu retentit hors champ, les choses s'éclaircissent et nous comprenons que c'est Costello qui est touché. Quand le policier ouvre l'arme de Costello vidée de ses balles, tout se met en place dans l'esprit du spectateur : tel un samouraï Costello s'est donné la mort car il avait refusé les ordres de son maître qui étaient de tuer la pianiste.

Suicidaire, Jeff Costello était amoureux de sa mort, il s'est rendu à elle sans hésitation. Il était amoureux de la pianiste... comme l'affirmait lui-même Jean-Pierre Melville : «L’homme porte sa propre mort en lui, mais dans mon film la Mort est personnifiée par Cathy Rosier…. dont Delon va tomber amoureux. »

  
Morgane Bouraquil et Salomé Bailly--Gautron

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