De
quelle façon Jean Pierre Melville a-t-il manié l'ellipse pour vous
piéger et vous surprendre dans la fin du Samouraï ?
Dans
le premier plan, Jeff Costello se trouve dans sa voiture, un insert
sur son arme nous montre qu'elle est chargée, il est prêt a tirer.
Ensuite nous suivons Costello dans la salle de jazz sans transition,
grâce à un montage cut. Là est l'ellipse.
Nous
continuons à suivre Costello avec un panoramique épaule. Il donne
son chapeau à l'hôtesse des vestiaires mais laisse le ticket qui
lui permet de récupérer son emblématique chapeau.
Mais
pourquoi donc?
Nous
accompagnons Jeff Costello : un plan d'ensemble nous fait entrer dans
la salle de jazz, bondée. Costello se dirige vers le bar. Il met ses
gants ostensiblement, il va commettre un meurtre et ne le cache pas.
Un champ contre champ s'effectue pour mettre en valeur le regard
terrifié du barman qui pense que Costello vient pour le tuer et le
regard fixe sans émotion de Costello.
La
pianiste entre en scène, un panoramique suit son arrivée puis un
plan d'ensemble montre l'orchestre au complet. Le plan rapproché sur
le visage de la pianiste nous dévoile un sourire et une incrédulité
concernant les événements à venir.
Nous
revenons au point de vue de Costello : le champ contre champ perdure
avec dans le regard les mêmes craintes du barman et la même
impassibilité de Costello.
Un
panoramique épaule nous amène à la pianiste en suivant les pas de
Jeff. Un très gros plan sur les visages de la pianiste et de
Costello nous souligne l'étonnement de la pianiste de voir Costello
face à elle. Un champ contre champ mime l'échange de regard entre
les deux personnages. Puis un insert avec panoramique vertical nous
dévoile l'arme de Jeff Costello. Le champ contre champ entre les
regards des deux protagonistes continue puis il y a un coup de feu
hors champ. Costello est tué.
Un
plan d'ensemble sur la salle de jazz nous montre le calme qui fait
place à l'affolement. L'insert sur l'arme de Costello nous dévoile
que le chargeur est vide, sans aucune balle.
Vous
vous attendiez à ce que Costello tue la pianiste? Eh bien non,
Melville vous a bien eu ! En entrant dans le club de jazz, Costello
savait pertinemment que la mort l'attendait. L'ellipse nous a caché
le moment où Costello vide le chargeur de son arme. Lorsque Costello
laisse son ticket de vestiaire, c'est parce qu'il sait qu'il ne
reviendra pas le chercher. De même quand il met ses gants il les met
sans se cacher du barman car il sait que dorénavant il n'a rien à
perdre. Les longs échanges de regards avec la pianiste étaient-ils
des adieux ?
Lorsque
le coup de feu retentit hors champ, les choses s'éclaircissent et
nous comprenons que c'est Costello qui est touché. Quand le policier
ouvre l'arme de Costello vidée de ses balles, tout se met en place
dans l'esprit du spectateur : tel un samouraï Costello s'est donné
la mort car il avait refusé les ordres de son maître qui étaient
de tuer la pianiste.
Suicidaire,
Jeff Costello était amoureux de sa mort, il s'est rendu à elle sans
hésitation. Il était amoureux de la pianiste... comme l'affirmait
lui-même Jean-Pierre Melville : «L’homme porte sa propre mort en
lui, mais dans mon film la Mort est personnifiée par Cathy Rosier….
dont Delon va tomber amoureux. »
Morgane Bouraquil et Salomé Bailly--Gautron
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