Novélisation
La voiture de madame D. s'éloignait sous le ciel gris. Je m'exclamai :
“
- Ce n'est pas rien de gagner la fidélité
d'une telle femme dix-neuf saisons d'affilée...
- Oui,
monsieur, me répondit-on.
- Elle
m'apprécie beaucoup, vous savez.
- Oui,
monsieur.
- Je
ne l'avais jamais vue comme ça auparavant, dis-je, perplexe.
- Non,
monsieur.
- Elle
tremblait comme un chien qui chie, avouai-je.
- Juste.
”
Je
me retournai pour donner mes ordres au groom.
“
- Courez à la cathédrale Sainte Marie à
Brukenplatz, récupérez un demi-cierge et quatre klubecks de
monnaie, allumez-le dans la sacristie et récitez un rosaire. Allez
chez Mendl's et prenez un pain au chocolat puis donnez la monnaie
éventuelle au cireur estropié.
- Tout
de suite, monsieur. ”
Je
regardai le groom qui se précipitait lorsque je m’aperçut que
je n'avais, ciel ! encore jamais vu ce garçon.
“
- Pas si vite ! Qui es-tu ? ” l'interpellai-je.
En
face de moi, le jeune groom se tenait bien droit. Il semblait
intimidé car son regard restait rivé sur ses chaussures. Son allure
était fluette et reflétait bien sa récente arrivée dans cet
hôtel. Il avait l'air empoté et naïf, ce qui me laissait penser
que sa présence ici serait de courte durée. Ses grands yeux d'ébène
s'accordant parfaitement à ses cheveux exprimaient l'anxiété et
l'appréhension tandis que ses lèvres pincées attendaient la suite
de mes questions. Mais contre toute attente l'uniforme violet seyait
parfaitement à son teint hâlé malgré son calot mis de travers.
Il avait gardé un visage d'enfant, bien rond et joufflu, et avec son nez retroussé on ne lui donnait que seize
ans. Au-dessus de ses lèvres il laissait apparaître une fine
moustache (qui était en vérité un trait dessiné grossièrement au
crayon, ce jeune homme était sans aucun doute imberbe).
“
- Je suis Zero, monsieur. Le nouveau
groom, me répondit-il peu sûr de lui.
- Zero
dis-tu ? Je n'ai jamais entendu ton nom, je ne t'ai jamais vu.
Qui t'a engagé ?
- Monsieur
Mosher, monsieur."
Perplexe,
je décidai de m'assurer des dires de ce garçon.
- Monsieur
Mosher ! Criais-je.
- Oui,
monsieur Gustave ? me répondit-il instantanément.
- Dois-je
comprendre que vous avez engagé ce jeune homme au poste de groom
subrepticement ? le questionnai-je.
- Il
a été engagé pour une période d’essai, sous réserve de votre
accord, bien sûr.
- Bien,
merci monsieur Mosher. ”
Je
retournai mon attention sur Zero, effacé, qui attendait patiemment
mes instructions.
“
-Tu vas maintenant subir un entretien
officiel.
- Hum..
dois-je d'abord allumer le cierge, monsieur ? demanda-t-il
craintif et peu sûr de lui.
- Non",
répliquai-je.
Je
me dirigeai à l'intérieur de l'hôtel en l'invitant à me suivre
et décidai de commencer l'entretien sur le chemin ;
“
- Expérience ?
- Hôtel
Kinsky, apprenti à mi-temps, six mois. Hôtel Berlins,
serpillière et balais, trois mois. Avant ça récurage de poêle
dans un..
- Expérience :
0", le coupai-je peu convaincu.
C'était
certain : ce groom sans aucune expérience n'avait rien à faire
dans un endroit prestigieux comme le Grand Budapest Hôtel.
Nous slalomions entre les clients.
Nous slalomions entre les clients.
“
- Instruction ? repris-je.
- J'ai
appris la lecture et l'orthographe, je-j'ai commencé l'école
primaire.. j'ai presque fini d…
- Éducation :
0. Famille ? ”
Il
mit du temps à me répondre. Je vis de la tristesse
naître dans son regard, et je ne pus m'empêcher de ressentir une
certaine compassion.
“
- 0..." avoua-t-il.
Nous étions montés dans l'ascenseur. Je m'assis sur la chaise et restai
pensif un instant. Ma décision était déjà quasiment prise :
je ne pouvais me résoudre à accepter ce malheureux garçon. Malgré
tout je voulus lui poser cette dernière question qui me
brûlait les lèvres :
“ Pourquoi souhaites-tu être groom ?
”
Il
sembla étonné de ma question et me répondit en toute franchise ;
“
- Eh bien, qui ne le voudrait pas ?
Au Grand Budapest, monsieur.. C'est une institution. ”
Contre
toute attente ce jeune homme était perspicace et intelligent, tel le
parfait groom, ce qui me surprit. Après tout il avait une bonne
posture et semblait prêt à accomplir n'importe quelle tâche, comme
un soldat. Son regard me promettait qu’il serait loyal et dévoué.
J’esquissai un sourire.
“
- Excellent ! ”
A
son tour, il eut un sourire, son premier sourire depuis le début de notre conversation.
J'étais
décidé. Zero avait réussi à m'émouvoir, et Dieu sait à
tel point cela m'était difficile. Sa candeur, sa solitude, sa
détresse ainsi que son écoute et son innocence me rappelaient ma
jeunesse en beaucoup de points. J'allais lui inculquer tout mon
savoir et lui offrir une chance de devenir un groom du Grand Budapest
Hôtel !
Amélie
Forêt et Ilona Delise 1ère L2
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire