Le soleil s'abattait telle une chape de plomb sur la troupe de soldats qui avançait péniblement dans le désert saharien.
Devant eux, ouvrant la marche, marquant le rythme, le lieutenant, leur lieutenant, personnage aussi extraordinaire qu'effarant, qui pouvait arpenter des heures durant le sable torride sans signe de fatigue, sans même un képi sur la tête.
La troupe suivait sans se plaindre, chacun puisant dans ses forces et son courage, attentif à ne pas éveiller la colère du lieutenant Dizzli.
En cet après-midi de septembre 1954, le lieutenant avait reçu ordre de se déplacer avec sa troupe afin d'aller récupérer des munitions au camp "Mirabelle" en vue des futurs combats. Le retour devait se faire à dos de dromadaire. Le lieutenant était furieux, mais personne n'aurait pu dire ce qu'il ressentait tant son visage ne laissait jamais transparaître aucune expression, quelle qu'elle soit, de tristesse ou de colère.
"Stupides humains, stupide guerre, stupide moi", ronchonnait-il intérieurement en marchant d'un pas soutenu sur le sable brûlant. "Déplacer quinze hommes pour des munitions... Nom de Dieu, quand finira-t-on par ne plus prendre les hommes pour de la chair à canon ? Les généraux savent, je sais que nous pourrions être ravitaillés autrement, sans risquer des vies... Je sais et je n'ai rien dit... Nom de Dieu, s'il arrive quelque chose à mes hommes... Obéir, obéir, obéir ! Qui suis-je devenu pour être à ce point aveugle et consentir à cela ?"
La colère du lieutenant contre lui-même était terrible, et si son visage ne reflétait aucune expression, sa marche de plus en plus énergique trahissait son trouble intérieur. Ancien d'Indochine, il n'ignorait plus hélas que ses supérieurs avaient dans leur stratégie bien d'autres priorités que les simples soldats.
Il se souvint de toutes ses espérances lorsqu'il s'était engagé, quelques années plus tôt, de la fierté de ses parents et de ses deux sœurs, à la pensée qu'il allait représenter et défendre la patrie à travers le monde, qu'il gravirait un à un les échelons et deviendrait officier, que sa vie aurait un sens profond, noble, pur...
Il fit stopper la troupe et chacun put boire à sa gourde.
"Mon lieutenant, serons-nous arrivés avant la nuit ?
- J'y compte bien, soldat. En avant !"
La troupe obtempéra et reprit sa marche.
La colère du lieutenant s'était apaisée. Il n'avait peut-être pas gravi autant d'échelons qu'il avait espérés. Il s'était retrouvé parachuté là où les guerres l'avaient appelé. Il se devait de répondre à des ordres qui lui semblaient aussi farfelus que risqués. Cependant il se sentait d'un coup profondément heureux de servir de guide à des hommes qui le suivaient et qui avaient confiance en lui. Quelle que fût sa mission présente, elle lui apparut bien accessoire car sa vraie mission, son unique mission était et resterait la survie de ses hommes... ses hommes dont il garantirait jusqu'au bout, de lui-même, la sécurité...
Là était sans doute sa destinée, et sur ce sable que ses rangers écrasaient, il lui semblait avoir enfin compris le sens de son engagement, de son combat, de sa vie.
Auteur de sa propre existence, il en était le héros.
La nuit venait de tomber quand l'escouade entra au camp "Mirabelle". Habituellement le lieutenant Dizzli s'isolait sous sa tente. Ce soir-là, il partagea le repas de ses hommes et vit dans leurs yeux plus de bonheur que de surprise de voir leur chef assis avec eux.
Il était un soldat.
Naïla Sadki 1ère L2
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire