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La période de l’entre-deux-guerres est marquée par l’arrivée au pouvoir des régimes totalitaires, dont le nazisme en Allemagne. En 1940, la Seconde Guerre Mondiale est déclarée, mais les États-Unis optent pour une politique isolationniste et se tiennent à l’écart du conflit. Soucieux de rentabilité, les studios d’Hollywood, surveillés par la censure allemande, choisissent eux aussi de ne pas prendre parti pour se consacrer au pur divertissement. Le film de Franck Borzage La Tempête qui tue, traduction de l’anglais The Mortal Storm, sorti en 1940, est le premier film hollywoodien remettant en cause le nazisme. Nous verrons comment ce film tire son efficacité de l’appel aux sentiments. Nous nous intéresserons d’abord à la puissance du mélodrame sur les émotions du spectateur, et ensuite à la critique des méfaits du nazisme sur la société.
En
premier lieu le mélodrame, genre théâtral populaire né en France
sur le Boulevard du Temple à Paris au lendemain de la Révolution,
et repris ensuite par le cinéma muet, a pour but de provoquer chez
le spectateur des émotions fortes, en mettant en scène des
personnages innocents. L’une de ses caractéristiques est de
s’intéresser aux figures de victimes. Ainsi dans le film de
Borzage le nazisme touche des innocents. Par exemple, le professeur
Roth n’a pas choisi que les membres de sa communauté religieuse
soient considérés comme des « non Aryens », et Freya
n’a pas choisi non plus d’être la fille d’un Juif, ni de se
retrouver dans une ville touchée par le nazisme. Malheureusement
elle se retrouve victime de la situation et meurt en tentant de fuir
en Autriche. Franck Borzage, qui avant tout parle par l’image
puisqu’il a fait ses débuts dans le cinéma muet, insiste sur son
innocence. Ainsi on voit dans la première séquence à la ferme de
Martin que la jeune fille tient dans ses bras une chèvre, ce qui
suggère qu’elle est le bouc émissaire de la situation. Ces
personnages de victimes suscitent donc la pitié des spectateurs.
Ensuite
les personnages appartiennent soit au camp du Bien, soit au camp du
Mal. Le mélodrame au théâtre met en scène le Bien, qui gagne
toujours, affronté au Mal, à la catastrophe. Dans le film de
Borzage, le Mal est représenté par le nazisme, et le Bien par ses
opposants. Le contraste bien mis en évidence entre les personnages
nous fait détester encore plus les méchants de l’histoire, tout
en augmentant notre sympathie et notre pitié pour les bons. Cette
opposition se retrouve dans la séquence de la taverne, où les
uniformes gris des partisans du nazisme donnent à l’image un
aspect de tristesse et de froideur, tandis que se détachent sur ce
fond terne les manches blanches de Freya. Mais dans le mélodrame le
Bien gagne toujours, comme le montre la séquence à la fin du film
où la mort de Freya provoque la séparation de ses deux frères.
Erich et Otto sont filmés en plan rapproché taille. L’un, placé
à la gauche de l’image, le côté du Mal, ne remet pas en question
son appartenance au nazisme et gifle même son frère, placé à
droite, le côté du Bien, parce qu’ il se réjouit que Martin au
moins ait échappé à la patrouille. Après le départ de son frère,
il lève les yeux vers le ciel, tandis que résonne une musique
céleste, et il prononce le nom de Freya. Feya apparaît donc comme
son ange gardien qui va le guider sur la bonne voie.
Les
émotions suscitées par le film sont aussi liées aux liens sociaux,
en commençant par l’histoire d’amour entre Freya et Martin. Tout
mélodrame comporte une histoire d’amour passionnel. Freya
et Martin sont très amoureux, partagent les mêmes idéaux
anti-fascistes et se retrouvent seuls contre les autres. Le
spectateur est pris d’attendrissement pour eux, il s’attache à
cette histoire. C’est un amour idyllique, pas même la guerre ne
peut les séparer. Ils ont
la chance de devenir libres en passant la frontière autrichienne,
mais Freya meurt, coupant court à tous nos espoirs. Franck
Borzage nous fait vivre les montagnes russes des émotions, entre
attachement, pitié et tristesse. C’est le centre de l’histoire.
D’autre part
le spectateur est pris d’attendrissement pour la famille Roth,
montrée comme parfaite au début du film, et pour l’amitié entre
les personnages. Quand tout vire à la catastrophe, que les amitiés
et la famille se brisent, c’est un choc pour le spectateur. Or le
spectacle de la catastrophe est l’une des caractéristiques du
mélodrame, qui permet de nous faire ressentir des émotions fortes.
Toutes ces actions sont là
pour bouleverser le spectateur, mais aussi pour plaire, car dans le
mélodrame il ne s’agit pas de faire de l’art, mais de l’argent,
en divertissant et en provoquant des émotions chez le public
populaire.
Cependant,
si le mélodrame de
Borzage fait appel aux
sentiments en provoquant des émotions fortes, c’est
pour que le spectateur réagisse à la critique du nazisme exprimée
par le film.
L’analyse
porte d’abord sur la destruction des individus par cette idéologie,
en commençant par ses victimes et ses opposants. Le nazisme détruit
bien évidemment ses victimes, en différenciant les Aryens des
non-Aryens. Le terme
« non-Aryen » est utilisé dans le film pour éviter la
censure. Le professeur Roth
est Juif, et il finit par mourir dans un camp de concentration à
cause de sa religion. Freya aussi est détruite physiquement,
puisqu’elle meurt abattue par une patrouille à la fin du film.
D’ailleurs le réalisateur montre le contraste entre la neige
blanche, symbole de pureté et d’innocence, et le sang, noir à
l’image, de la blessure causée par le tir des nazis. Martin
est lui aussi détruit, mais cette fois mentalement, car il a perdu
Freya, l’être le plus cher à ses yeux. Mais le nazisme détruit
aussi ses partisans. Prenons l’exemple de l’ancien fiancé de
Freya. Le nazisme l’a obligé à tuer Freya, alors qu’il
l’aimait. Il est ainsi détruit de l’intérieur, et en plus de
cela, il s’est détruit lui-même. D’ailleurs il dit ensuite aux
frères de Freya qu’il était obligé de le faire, comme pour se
justifier. Il se sent donc coupable. Les deux frères sont aussi
touchés par la mort de la jeune fille. L’un d’eux est si blessé
qu’il change sa façon de penser et remet en cause son adhésion
fanatique.
Ensuite
le nazisme détruit aussi l’amitié. Par exemple à l’université,
le professeur Roth est au départ très apprécié, on lui organise
même un anniversaire surprise, et tout le monde se prend au jeu,
famille, collègues, étudiants. Puis il est de moins en moins
admiré, jusqu’à ce que ses élèves désertent ses cours. La
séquence chaleureuse de la remise de son cadeau au professeur dans
l’amphithéâtre contraste avec la séquence où dans ce même
amphithéâtre le professeur est contesté par ses étudiant qui sont
désormais tous en uniforme nazi. De même la taverne est un lieu qui
symbolise l’amitié. Borzage établit un grand contraste entre une
première séquence en
travelling où les gens chantent, boivent et sont joyeux, et une
autre séquence où les nazis se sont emparés du lieu.
Un
plan d’ensemble dévoile Martin et Freya, comme étouffés par les
hommes debout qui font le salut hitlérien.
Les chansons joyeuses ont été remplacées par l’hymne nazi, sans
plus d’amusement. La taverne, lieu de sociabilité, est devenue
triste et menaçante, le lien
social a été détruit par le nazisme.
Enfin
la destruction des liens sociaux est illustrée par la destruction de
la famille. La maison est une image, elle représente la famille. La
destruction de la famille est montrée par le contraste fort entre
l’apparence de la maison au début du film, joyeuse et pleine de
vie, et celle de la maison à la fin, vide et mal décorée. Au
début, dans la première séquence, on voit le facteur, dont le
métier est d’assurer la communication, donc le lien social,
marcher jusqu’à la porte de la maison. L’image
est lumineuse, le facteur répète sans cesse « Good
morning ! », comme une comptine joyeuse, et filmé en
panoramique, il va de gauche à droite, le sens de la lecture, pour
dynamiser la scène. Le paysage est idyllique, la neige évoquant un
conte de Noël. Ensuite on voit le facteur et la domestique en plan
italien, pour bien mettre en valeur les colis, car le professeur est
aimé. Tout le monde dans la demeure est heureux. Cette
harmonie est en contraste avec l’évolution du personnage de la
bonne, qui d’abord joyeuse et gentille, devient méchante et
désagréable à l’égard de Freya et de sa mère quand le
professeur a été déporté. D’autre part la
dernière séquence montre du point de vue subjectif de l’un des
deux frères la salle à manger sombrant dans les ténèbres. L’ombre
de la chaise montre que la famille n’est plus qu’une ombre, donc
n’existe plus. L’ombre de la statue portant le flambeau veut dire
que la lumière de la science a disparu, mais
cette statue réapparaît un bref instant sous le regard du
personnage, c’est un signe d’espoir. Quant aux deux frères, leur
relation est brisée, ce que symbolise la gifle donnée à celui qui
renonce à l’idéologie nazie. Ils ne partagent plus le même
idéal, ce que montre le plan rapproché taille où ils sont séparés
par le montant central de la fenêtre, chacun sur un côté de
l’écran.
Donc
nous avons vu comment les méfaits du nazisme détruisent non
seulement les individus, mais aussi les liens sociaux de l’intérieur, amicaux ou familiaux.
Ainsi Borzage utilise la puissance
du mélodrame pour faire naître de la pitié pour les victimes
innocentes affrontées à la catastrophe, de la détestation pour les
nazis partisans du Mal, et de l’attendrissement pour les amoureux
affrontés à l’épreuve. Le spectateur est donc happé par un
film qui propose à travers l’histoire bouleversante qu’il
raconte une analyse de la façon dont le nazisme détruit les
individus, physiquement et mentalement, dont il met à mal les liens
sociaux et décompose de l’intérieur la cellule familiale.
Malheureusement, bien que censuré dès le départ et amputé de 15 %
de ses images, ce film a provoqué l’interdiction des productions
de la Metro-Goldwyn-Meyer en Allemagne par le ministre de la
Propagande Joseph Goebbels. Peu après, le premier film parlant de
Charlie Chaplin, Le Dictateur, sorti lui aussi en 1940 et
mettant directement en cause Hitler lui-même, a provoqué
l’interdiction de tous les films hollywoodiens sur le sol allemand.
Léa Laime, 1ère D
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