A ses débuts le cinéma ne se distinguait pas des arts forains, aucune
salle ne lui était consacrée, il était une attraction au même titre
qu'un numéro de cirque, et trouvait sa place au milieu de spectacles où se produisaient des artistes comme le fameux Homme-Aquarium, dont le petit-fils nous rapporte ici l'histoire.
Photo Jean-Paul Delair
Le
Cinéma mène à tout, pourrait-on dire. En tout cas c’est ce que
l’on pouvait penser au début du 20ème
siècle, lorsque celui-ci fit son apparition et qu’il ne se bornait
pas uniquement à se projeter dans des salles obscures. C’était un
tout, une sortie dominicale, une soirée ou une matinée de
divertissement. C’est là que se place l’attraction dont on
déniche
la publicité dans les archives des journaux d’époque, dans la
ville de Châlons-sur-Marne. Films, musiques, artistes, et buvette à
l’entracte, pourquoi pas.
On
y parle de Mac-Norton, l’Homme-Aquarium. Qu’était donc ce
phénomène ?
Là,
je peux en parler, puisque cet homme fut mon grand-père et que je me
suis intéressé à sa carrière, en recherchant dans des archives,
vieilles coupures de journaux, anciens souvenirs et, modernité
oblige, sur Internet, ce qui se rattachait à cet homme.
Lorsqu’il
se produit sur scène, à Châlons ou ailleurs, il a plus de 40 ans
et déjà une longue carrière derrière lui, où les tournées
s’enchaînaient. Sur les affiches lithographiées qu’il a fait
imprimer et qui sont placardées dans les villes où il passe, il se
présente ainsi, tenant une grenouille à la main prête à être
engloutie, sous le titre de « L’Homme-Aquarium » :
« Je
dis...être un phénomène scientifique extraordinaire de l'ordre des
quadrupèdes mammifères à 4 estomacs.
Je
bois...
-
1° une pièce d'eau de 220 litres en 2 heures 30 mn.
-
2° 100 bocks en 10 mn.
-
Je mange...52 pains secs de 4 livres en 48 heures.
-
J'avale... Poissons, tortues d'eau, grenouilles, Water Snakes, Vivants et par douzaines.
-
Je les garde... Au plus longtemps 2 heures dans les poches de l’estomac, tel, Jonas dans la baleine, puis je les restitue au grand jour tout vivants et plus frétillants que jamais… »
Ce
que laisse évoquer les amphibiens et autres carpillons d’ornement
aperçus et suggérés en transparence dessinés sur son gilet.
Ce
sont là les performances qu’il a pu faire, soit en présence de
journalistes, soit devant des sommités médicales, et qui sont
prouvées, montrant ainsi le caractère exceptionnel de ses capacités
stomacales. Car il ne bluffe pas, c’est un véritable méryciste.
Nom, plus ou moins, inventé pour l’occasion par le Docteur Farez
de la faculté de médecine de Paris se basant sur le fait que
certaines personnes consciemment ou inconsciemment font remonter
leurs aliments, un peu comme les bébés dont on attend le rot
digestif ! Là, le méryciste devient acteur de cette propriété.
Enfin
notre personnage possède cette faculté, dont il joue étant gamin,
après s’être aperçu qu’il pouvait à volonté agir sur son
estomac pour épater les copains. Ce n’est que rigolade pour lui,
ayant troqué les aliments par de l’eau qu’il peut faire remonter
avec force tel un jet d’eau. Il habite Paris, non loin du jardin
des plantes et de son parc zoologique.
Il
y a là l'éléphant, seul représentant de son espèce dans la
capitale française, en cette fin du XIXème siècle. Comme il le
racontera lui-même, par la suite, au reporter du "Journal",
il s'amusait à envoyer de l'eau, qu'il venait d'avaler, et qu'il
pouvait faire ressortir en jet, pour arroser l’ énorme pachyderme,
qui ne se gênait pas pour l’asperger à son tour, à la grande
joie des badauds. Et fier de lui, il rentrait à la maison.
Sifflotant, les mains dans les poches.
L’enfant
grandit, continue à améliorer sa technique pour le plaisir, mais
ne songe pas encore à en faire son gagne-pain. Mais les planches
l’attirent quand même. La preuve, il devient chanteur-figurant
auprès de Dranem, le célèbre fantaisiste. Il fera sensation le
jour où en pleine représentation il ose faire un magnifique jet
d’eau qu’il expulse par la bouche. Ce qui évidemment ne passe
pas inaperçu et lui servira plus tard… Mais c’est bientôt
l’appel sous les drapeaux. Avant cela, et
c’est là que le hasard de cette histoire rejoins la ville de
Châlons, nous sommes certainement en 1896, il rend visite à son
frère qui effectue sa période de 28 jours obligatoire, deux ans
après l’incorporation, au camp de Châlons-sur-Marne. On lui
demande de faire son numéro d’arroseur pour amuser les soldats et
un loustic l’interpelle : « Et si tu avalais une
grenouille ? ». Piqué au vif, il accepte et ça marche !
L’idée est lancée. Et il dû y resonger en souriant lorsqu’il
repassera bien plus tard par cette ville, dans le cadre de ses
tournées.
De
retour de son propre service militaire, sérieux, il monte une
affaire n’ayant aucun rapport avec sa faculté peu banale. Les
circonstances font que son associé, malhonnête, le laisse en plan
après avoir mis l’entreprise en faillite. Il repense alors à ses
capacités stomacales et voilà comment il débuta vraiment, après
avoir pris le nom de Mac-Norton. Des impresarios s’intéressent au
phénomène et cela l’entraînera
de cirques en music-halls à travers le monde. De la Russie des tsars
devant Nicolas II à l’autre côté de l’Atlantique découvrant
ainsi l’Amérique du Sud. Après la guerre de 14-18, Il se produit
principalement en Europe et en France, avec des contrats incluant les
salles de cinéma, les casinos et les endroits où les spectateurs se
pressent pour découvrir ces baladins, ces nouveaux saltimbanques et
bien sûr l’unique Homme-Aquarium. C’est la belle époque, les
gens ont d’autant plus envie de se divertir au sortir de ces années
de conflits.
En
quoi consiste son numéro, dont il est précisé à l’attention des
directeurs de salles : « (…) ce phénomène est présenté
de la manière la plus élégante qu'il soit, et d'une façon très
gaie, et peut être vu par les personnes les plus délicates et les
plus susceptibles » ?
J’en
ai fait une petite synthèse, car hélas, il n’existe, à ma
connaissance aucun document cinématographique ayant pu immortaliser
son spectacle.
…A
son entrée sur scène, selon les lieux, il se fait apporter par des
serveurs habillés en garçons de café, une cinquantaine de bocks
qu'il avale devant les spectateurs. Les bocks sont déposés devant
lui et il les avale un à un. L’orchestre du lieu l’accompagne
alors avec la musique dont l’artiste a fourni les partitions.
Après
cela, il fume tranquillement une cigarette, pour bien montrer que
tout le liquide a bien été avalé et que cela ne le dérange pas.
Il plaisante un peu avec les spectateurs et annonce qu'il va faire "
la fontaine"! Et de fait il expulse l'eau qu'il vient d'avaler
en un délicat jet d'eau avec lequel il se lave les mains, dans une
coupelle déposée sur une table devant lui. Ou bien il fait "la
douche" et l'eau rejaillit avec force, mais toujours sans effort
apparent, avec une bonhomie certaine, accompagné d’un commentaire
au second degré.
Mais
c'est après qu'il devient l’Homme-Aquarium. C'est la partie la
plus difficile et la plus délicate.
"Une
partie de l'eau est restée stockée dans une seconde poche de
l'estomac que le commun des mortels ne possède pas", dit-il.
Cette poche, contrairement à l'estomac ne secrète pas de sucs
gastriques qui ordinairement attaquent les aliments. Ce qui va lui
permettre de poursuivre son numéro. C'est tout au moins ce qu'il
explique en partie à son public, lui laissant croire à une
disposition spéciale de son anatomie.
Il
sort alors d'un récipient 5 grenouilles, et 6 poissons rouges, et
un à un, il va les avaler !
Une
fois qu'il a accompli cela, il rallume une cigarette, en avale
quelques bouffées, pour bien montrer que cela ne dérange pas les
animaux qu'il vient d'ingurgiter. Il les garde ainsi quelques
instants tout en devisant avec les spectateurs…
Il
pourrait les garder ainsi plus de 2 heures. Les grenouilles
pourraient rester plus longtemps, mais les poissons rouges, ne
l'oublions pas sont maintenant dans une eau, qui, si elle est propre
et pure, n'en est pas moins à la température du corps, soit environ
37 degrés centigrade.
Il
annonce ensuite qu'il va appeler par leur nom chacun des poissons et
grenouilles et que ceux-ci « referont surface ». Il les
fait ainsi remonter à la demande, par le procédé qui est le sien
et récupère délicatement les batraciens et autres petits carassins
dorés à la commissure des lèvres, avant de les remettre dans leurs
bocaux respectifs, tout frétillants et bien vivants.
Il
salue alors son public. Un dernier air de musique l'accompagne. C'est
la fin du numéro. Mac-Norton redevient Claude Louis Delair.
Les
gens se souviendront longtemps de ce personnage au look très classe
et décalé : habillé d’un costume à queue de pie noir, avec
gilet blanc en coton piqué, chemise à col cassé et nœud
papillon blanc avalant de la manière la plus naturelle qui soit ces
petits animaux aquatiques, qui, nous dit-on, connaissaient
parfaitement leur partenaire.
Jean-Paul
Delair
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