dimanche 26 novembre 2017

Journal de bord Aénor Balan WOS 2017




Membre du jury lycéen lors du festival War On Screen 2017 et ayant vécu une expérience particulièrement enrichissante, je vous propose de vous la faire partager!
Mercredi 04/10/2017 :

Trop impatientes pour attendre l’après-midi et commencer à regarder les films du festival, nous sommes allées avec Emma chercher plus tôt nos accréditations le mercredi. Nous avions déjà prévu absolument tous les films à voir, les horaires, les cours loupés… On ne voulait rien rater du festival, pour nous c’était clair : être jury lycéen, ce n’est pas tous les jours. A 10h, le premier film s’intitulait ACCROSS THE UNIVERSE et était projeté à la médiathèque Pompidou. (Le festival est bien imaginé pour la diversité des salles de projections qui sont bien situées les unes par rapport aux autres.) Construit autour de 34 chansons de Beatles (groupe que j’adore), qui retrace l’histoire d’amour d’un jeune couple dans les 60’s. C’était un de mes préférés du festival, il était coloré et nous amenait dans un autre univers. A la fin, c’était la course pour manger et arriver à l’heure pour CAHIER AFRICAIN à la comète, long-métrage de la compétition. Emma et moi n’étions pas dérangées par tous les déplacements et les petites pauses, on était déjà trop excitées de regarder des films tous les jours pendant le festival ! C’était un documentaire suisse sur les exactions commises en République centrafricaine entre 2002 et 2003, dont nous n’avions jamais entendu parler. Nous en sommes sorties retournées, par la longueur et les faits relatés, l’ambiance était différente du film vu précédemment, mais il nous a mises au courant sur ce qu’il s’était passé et la souffrance des populations. Après un moment de silence, nous avons débattu de nos impressions devant la comète, sur les bancs. Nous y étions presque tout le temps, et cela nous permettait de rencontrer des gens qui passent sur le festival et d’engager la conversation. On se sentait amenés à le faire, aller vers les gens, la taille du festival le rend plus convivial et l’agencement des coins de repos était bien pensé. Vers 15h15, début des choses sérieuses : rendez-vous avec Johanna pour recevoir nos sacs wos 2017, photos et interviews pour l’Union. On a passé du temps avec l’équipe de jurés, on a partagé nos impressions du premier jour, on se rapprochait petit à petit. A 16h, tout ce petit monde est allé voir LOW TIDE, autre long-métrage de la compétition. Il était filmé de manière extrêmement réaliste, c’était tout ce que j’ai aimé dans ce long-métrage. Il m’a paru incompréhensible et je ne l’ai entièrement compris que par la gazette du festival (merci !) qui m’a apporté un regard neuf sur ce film, mais il n’était clairement pas dans mes favoris du festival. Vers 18h30 commença la cérémonie d’ouverture ! Ce fut une longue cérémonie mais qui nous présentait intégralement le festival et les films projetés, leur intérêt … S’ensuivit l’inauguration d’une exposition au dernier étage de la comète, dont l’œuvre principale était une fresque superbe. Sur cette dernière nous pouvions voir les visages de différents personnages photographiés, les uns à côtés des autres, sans qu’ils soient sur la même photographie à la base, le tout en noir et blanc. Le regard des soldats était très bien reproduit, c’est ce qui m’a plu. Après notre coupe de champagne, l’équipe est partie à la cantine avant la projection du film d’ouverture AU REVOIR LA HAUT. J’ai vraiment trouvé ce film beau. Les images étaient colorées, les thématique des masques et des oiseaux étaient touchantes et riches et les acteurs sont doués : j’en connaissais la plupart, mais j’ai à nouveau découvert le talent de Nahuel Perez Biscayart. Ce film mêlait habilement humour et gravité.

J'étais exténuée mais satisfaite !



Jeudi 05/10/2017 :

Après un réveil difficile, Emma et moi étions en forme pour la projection de WOMEN OF THE WEEPING RIVER à la comète à 10h. Ce film montrait très bien la réalité des conflits entre chrétiens et musulmans, contenait des passages très touchants, mais d’autres très longs, trop longs. Nous n’avions aucun film de prévu avant 15h45, donc nous sommes allées sur les canapés devant, pour que je fasse mon journal de bord (celui-là même que vous êtes en train de lire). Nous avons appris à connaître les vigiles ce jour-là, ils étaient très avenants derrière leurs habits noirs. Après avoir mangé, Emma et moi avons travaillé, et oui c’est possible, et de la philo qui plus est. Le coin réservé au bar au sous-sol de la comète était très silencieux, ce qui nous a permis de nous concentrer assez facilement. LES AILES DU DESIR de Wim Wenders était le film projeté à 15h45. Je ne regrette pas d’être allée le voir : le parallèle entre le monde des anges et des hommes, le noir et blanc et les couleurs, les monologues poétiques sont tant de choses que j’ai aimées. Nous enchaînions ensuite avec une projection de court-métrage en réalité virtuelle, première expérience de réalité virtuelle pour moi, je ne tenais pas en place. J’en suis ressortie impressionnée mais déçue : l’image était trop pixellisée, cela m’a provoqué un mal de crâne. L’objet du court-métrage était la bombe atomique et l’action se passait en Australie mais je n’ai pas saisi le but du court-métrage, qui était trop condensé pour être intelligible. Après une pause carnet de bord et un passage à la cantine, nous sommes allées avec Emma et Maxence, un jury du lycée Ozanam, voir le film COLONEL REDL d’Istvan Szabo. Sous l’empire austro-hongrois, un soldat montant les échelons dans l'armée progressivement refoule son homosexualité. Les combats intérieurs qu’il avait à mener m’ont touchée, je le haïssais parfois mais je comprenais ses actes. J’ai beaucoup apprécié de voir un film « ancien », de voir une manière de tourner différente. Cette journée était encore plus fatigante que celle d’hier, mais nous étions euphoriques de vivre ce festival, alors on oubliait la fatigue, je n’ai jamais dormi pendant une seule projection d'ailleurs!


Vendredi 06/10/2017 :

Ce matin-là nous avions décidé avec Emma de voir un film d’animation, pour toucher un peu à tout et nous sommes donc allées voir LA BATAILLE GEANTE DE BOULES DE NEIGE ! L’histoire d’un groupe d’enfants qui font une guerre de boules de neige, en la prenant beaucoup trop au sérieux. Le chien, que tous les enfants appréciaient, meurt à la fin d’un énième conflit… ce passage était le plus triste du festival. C’était une leçon de vie, il y a des limites à tout et la représentation des rapports de force au sein d’un groupe d’enfants était bien faite, en plus de mettre en avant la question de l’égalité hommes/femmes. Suite à cette projection, nous sommes allées boire un café devant la comète (c’est notre manière d’oublier la fatigue, la somme café + euphorie), avant de retourner à Bayen pour voir ERA OF DANCE, qu’on attendait énormément. Ce film (qui était en vérité un documentaire) traitait d’une nouvelle esthétique musicale à la fin du mur de Berlin et de la guerre froide. Nous avions envie de savoir comment une sorte de diplomatie secrète s’était créée pour faire naître la dance et la techno en RDA. Tellement déçues par le fait que ce soit sous forme de documentaire, nous avons quitté la salle après les 10 premières minutes… J’avais honte, je n’aime pas faire ça mais dans un festival de films de guerre, ce que j’apprécie c’est de vivre les conflits par une histoire, la vivre en parallèle des personnages ou la sentir valable pour moi aussi. Je ne ressens pas ce sentiment avec des documentaires et c’est looooong. Les premières images ne m’ont vraiment pas plu, ce qui ne m’a pas retenu dans la salle. Après avoir mangé, nous avons croisé le jury étudiant qui était resté dans la salle de projection d’ERA OF DANCE, il paraît qu’il était génial. Bon, je le saurais pour le coup d’après, qu’il ne faut pas se borner aux premières impressions, mais je n’ai pas regretté d’avoir quitté la salle. Nous avons aussi souvent croisé Olivier BROCHE durant le festival, qui était un des programmateurs des courts-métrages. J’ai aimé la plupart des films qu’il nous conseillait et ses grands sourires nous faisaient, à Emma et moi, grand plaisir. Nous l’avons donc croisé avant la première séance de courts-métrages, nous étions pressées de commencer enfin à faire notre job ! Entre les 7 courts-métrages proposés, j’ai tout de suite eu mes préférences, mais c’était intéressant de savoir dire pourquoi je n’en avais pas aimé certains et préféré d’autres. Le temps de prise de notes était extrêmement court, mais cela nous forçait à synthétiser et à nous concentrer sur chaque projection, pour ne rien louper. Lors du débriefing, Estelle LARRIVAZ, présidente du jury lycéen, nous a donné des pistes d’analyse intéressantes sur tous les courts-métrages. J’étais contente de vivre ces débats, même si nous n’avions pas tous le même avis et que certains blablataient beaucoup pour pas grand-chose. Ce soir-là nous avons mangé avec Johanna, la responsable du jury lycéen, j’ai adoré qu’on parle tous ensembles. Je n’avais pas de projection de prévue je suis donc rentrée chez moi, j’ai même fait peur à ma mère parce qu’elle n’était pas habituée à ce que je rentre si tôt !



Samedi 07/10/2017 :

Ce samedi matin, je suis allée avec Maxence voir JEANNE D’ARC d’Otto PREMINGER. Notre trio était incomplet, Emma ne s’étant effectivement pas réveillée pour la projection de 10h (ça fatigue de regarder des films toutes la journée, soyez prêts si vous souhaitez le faire !). J’ai beaucoup apprécié le fait qu’il soit tourné en noir et blanc, en plus du jeu de Jean SEBERG. Elle était émouvante, cela la rendait encore plus belle d’incarner une jeanne d’arc convaincue et habitée par le saint esprit, qui critique l’Eglise de l’époque : on sentait en elle quelque chose de pur. Après la cantine, le café, le journal de bord, Johanna nous avait conseillé d’aller voir les courts-métrages sélectionnés dans la programmation du Poitiers Films Festival, où sont projetés des courts-métrages réalisés par des étudiants en école de cinéma. Ce fut une des plus belles expériences du festival. Je découvrais vraiment la richesse du court-métrage, chacun d’eux passait un message, était rythmé et parfois un court-métrage en dit plus qu’un film. Pour une après-midi de courts-métrages, c’en fut une : il s’ensuivit la dernière séance de projection des courts-métrages de la compétition, séance encore une fois très riche. Puis vint les délibérations finales. C’était compliqué, très compliqué. Il a fallu faire des compromis, on est obligé de prendre sur soi et on apprend des autres. Finalement nous avons fait un choix judicieux en décernant le prix du meilleur court-métrage à BATTALION TO MY BEAT, qui montre le rêve naïf d’une jeune algérienne de s’engager dans l’armée pour sauver son pays de l’occupation, et le prix du jury à TEMOINS, court-métrage qui traite d’une photographie mal interprétée en Occident sur les combats contre Daesh en Syrie, qui va avoir des conséquences pour la photographe. Après ces délibérations, on est tous allés manger, j’ai pris un café pour tenir lors de la projection de THE BOMB, à 22h. Il a provoqué en moi de l’horreur et de la fascination, devant cet objet, la bombe nucléaire, ayant le pouvoir de tout détruire.



Dimanche 08/10/2017 :

Ce dernier jour de festival a commencé par un long métrage de la compétition : WESTERN. Il racontait l’histoire d’Allemands s’installant en Bulgarie et ayant des difficultés à sympathiser avec les habitants.  Le film était très long, mais l’acteur principal m’a touchée, il tentait de briser les barrières entre les deux groupes en conflit, maladroitement mais il essayait et il a réussi. A 16h était prévu THE YELLOW BIRDS, mais à cause d’un problème technique la projection a été annulée… Plus qu’à attendre la cérémonie de clôture pour enfin évacuer le stress dû à la prise de parole pour annoncer notre choix, nous petits lycéens, mais grand jury. Après le café, le journal de bord et des répéts de notre show, nous avons retrouvé Johanna à 18h pour un dernier débriefing. L’ambiance y était conviviale, c’était un festival qui s’achevait, on avait tous appris à se connaître, on allait annoncer les résultats ce soir, on angoissait un peu. La cérémonie était magique, les prix étaient justement décernés : l’acteur dans le film WESTERN a obtenu un prix pour son jeu ! On a cartonné pour la remise des prix, des bons retours sur notre prestation nous sont parvenus après la cérémonie. La cérémonie était agréable à vivre, en tant que jeunes on ne se sentait pas à l’écart, au contraire ! Le cocktail de clôture nous a permis de dire au revoir à Johanna, c’était un beau moment, je n’oublierais pas cette euphorie que j’ai ressentie pendant le festival. Le film de clôture traitait d’un sujet trop peu abordé, le génocide arménien. Le problème c’est qu’il avait les particularités d’un blockbuster : une fin prévisible, des personnages toujours très beaux et un trio d’acteurs connus… En sortant du film nous étions dépitées avec Emma et Maxence, WOS c’était fini. Nous avons croisé Paola Caretta, la coordinatrice générale de la comète, avec qui nous avions déjà brièvement parlé. On a discuté des courts-métrages, de leur intérêt, des trop longs films, des blockbusters, etc. et c’était agréable ! Elle nous a encouragés à nous déplacer à Clermont et à Poitiers pour en regarder et être immergé dans les festivals de courts-métrages!

En conclusion, tentez cette expérience, je vous souhaite vraiment de la vivre, on a tout à y gagner.

Aénor

jeudi 16 novembre 2017

Mac-Norton, l’Homme-Aquarium

A ses débuts le cinéma ne se distinguait pas des arts forains, aucune salle ne lui était consacrée, il était une attraction au même titre qu'un numéro de cirque, et trouvait sa place au milieu de spectacles où se produisaient des artistes comme le fameux Homme-Aquarium, dont le petit-fils nous rapporte ici l'histoire.


Photo Jean-Paul Delair

 
Le Cinéma mène à tout, pourrait-on dire. En tout cas c’est ce que l’on pouvait penser au début du 20ème siècle, lorsque celui-ci fit son apparition et qu’il ne se bornait pas uniquement à se projeter dans des salles obscures. C’était un tout, une sortie dominicale, une soirée ou une matinée de divertissement. C’est là que se place l’attraction dont on déniche la publicité dans les archives des journaux d’époque, dans la ville de Châlons-sur-Marne. Films, musiques, artistes, et buvette à l’entracte, pourquoi pas. 
 
On y parle de Mac-Norton, l’Homme-Aquarium. Qu’était donc ce phénomène ?

Là, je peux en parler, puisque cet homme fut mon grand-père et que je me suis intéressé à sa carrière, en recherchant dans des archives, vieilles coupures de journaux, anciens souvenirs et, modernité oblige, sur Internet, ce qui se rattachait à cet homme. 

Lorsqu’il se produit sur scène, à Châlons ou ailleurs, il a plus de 40 ans et déjà une longue carrière derrière lui, où les tournées s’enchaînaient. Sur les affiches lithographiées qu’il a fait imprimer et qui sont placardées dans les villes où il passe, il se présente ainsi, tenant une grenouille à la main prête à être engloutie, sous le titre de « L’Homme-Aquarium » :

« Je dis...être un phénomène scientifique extraordinaire de l'ordre des quadrupèdes mammifères à 4 estomacs.
Je bois...
  • 1° une pièce d'eau de 220 litres en 2 heures 30 mn.
  • 2° 100 bocks en 10 mn.
  • Je mange...52 pains secs de 4 livres en 48 heures.
  • J'avale... Poissons, tortues d'eau, grenouilles, Water Snakes, Vivants et par douzaines.
  • Je les garde... Au plus longtemps 2 heures dans les poches de l’estomac, tel, Jonas dans la baleine, puis je les restitue au grand jour tout vivants et plus frétillants que jamais… »

Ce que laisse évoquer les amphibiens et autres carpillons d’ornement aperçus et suggérés en transparence dessinés sur son gilet.

Ce sont là les performances qu’il a pu faire, soit en présence de journalistes, soit devant des sommités médicales, et qui sont prouvées, montrant ainsi le caractère exceptionnel de ses capacités stomacales. Car il ne bluffe pas, c’est un véritable méryciste. Nom, plus ou moins, inventé pour l’occasion par le Docteur Farez de la faculté de médecine de Paris se basant sur le fait que certaines personnes consciemment ou inconsciemment font remonter leurs aliments, un peu comme les bébés dont on attend le rot digestif ! Là, le méryciste devient acteur de cette propriété.

Enfin notre personnage possède cette faculté, dont il joue étant gamin, après s’être aperçu qu’il pouvait à volonté agir sur son estomac pour épater les copains. Ce n’est que rigolade pour lui, ayant troqué les aliments par de l’eau qu’il peut faire remonter avec force tel un jet d’eau. Il habite Paris, non loin du jardin des plantes et de son parc zoologique.

Il y a là l'éléphant, seul représentant de son espèce dans la capitale française, en cette fin du XIXème siècle. Comme il le racontera lui-même, par la suite, au reporter du "Journal", il s'amusait à envoyer de l'eau, qu'il venait d'avaler, et qu'il pouvait faire ressortir en jet, pour arroser l’ énorme pachyderme, qui ne se gênait pas pour l’asperger à son tour, à la grande joie des badauds. Et fier de lui, il rentrait à la maison. Sifflotant, les mains dans les poches.
L’enfant grandit, continue à améliorer sa technique pour le plaisir, mais ne songe pas encore à en faire son gagne-pain. Mais les planches l’attirent quand même. La preuve, il devient chanteur-figurant auprès de Dranem, le célèbre fantaisiste. Il fera sensation le jour où en pleine représentation il ose faire un magnifique jet d’eau qu’il expulse par la bouche. Ce qui évidemment ne passe pas inaperçu et lui servira plus tard… Mais c’est bientôt l’appel sous les drapeaux. Avant cela, et c’est là que le hasard de cette histoire rejoins la ville de Châlons, nous sommes certainement en 1896, il rend visite à son frère qui effectue sa période de 28 jours obligatoire, deux ans après l’incorporation, au camp de Châlons-sur-Marne. On lui demande de faire son numéro d’arroseur pour amuser les soldats et un loustic l’interpelle : «  Et si tu avalais une grenouille ? ». Piqué au vif, il accepte et ça marche ! L’idée est lancée. Et il dû y resonger en souriant lorsqu’il repassera bien plus tard par cette ville, dans le cadre de ses tournées.
De retour de son propre service militaire, sérieux, il monte une affaire n’ayant aucun rapport avec sa faculté peu banale. Les circonstances font que son associé, malhonnête, le laisse en plan après avoir mis l’entreprise en faillite. Il repense alors à ses capacités stomacales et voilà comment il débuta vraiment, après avoir pris le nom de Mac-Norton. Des impresarios s’intéressent au phénomène et cela l’entraînera de cirques en music-halls à travers le monde. De la Russie des tsars devant Nicolas II à l’autre côté de l’Atlantique découvrant ainsi l’Amérique du Sud. Après la guerre de 14-18, Il se produit principalement en Europe et en France, avec des contrats incluant les salles de cinéma, les casinos et les endroits où les spectateurs se pressent pour découvrir ces baladins, ces nouveaux saltimbanques et bien sûr l’unique Homme-Aquarium. C’est la belle époque, les gens ont d’autant plus envie de se divertir au sortir de ces années de conflits.
En quoi consiste son numéro, dont il est précisé à l’attention des directeurs de salles : « (…) ce phénomène est présenté de la manière la plus élégante qu'il soit, et d'une façon très gaie, et peut être vu par les personnes les plus délicates et les plus susceptibles » ?
J’en ai fait une petite synthèse, car hélas, il n’existe, à ma connaissance aucun document cinématographique ayant pu immortaliser son spectacle.
A son entrée sur scène, selon les lieux, il se fait apporter par des serveurs habillés en garçons de café, une cinquantaine de bocks qu'il avale devant les spectateurs. Les bocks sont déposés devant lui et il les avale un à un. L’orchestre du lieu l’accompagne alors avec la musique dont l’artiste a fourni les partitions.
Après cela, il fume tranquillement une cigarette, pour bien montrer que tout le liquide a bien été avalé et que cela ne le dérange pas. Il plaisante un peu avec les spectateurs et annonce qu'il va faire " la fontaine"! Et de fait il expulse l'eau qu'il vient d'avaler en un délicat jet d'eau avec lequel il se lave les mains, dans une coupelle déposée sur une table devant lui. Ou bien il fait "la douche" et l'eau rejaillit avec force, mais toujours sans effort apparent, avec une bonhomie certaine, accompagné d’un commentaire au second degré.
Mais c'est après qu'il devient l’Homme-Aquarium. C'est la partie la plus difficile et la plus délicate.
"Une partie de l'eau est restée stockée dans une seconde poche de l'estomac que le commun des mortels ne possède pas", dit-il. Cette poche, contrairement à l'estomac ne secrète pas de sucs gastriques qui ordinairement attaquent les aliments. Ce qui va lui permettre de poursuivre son numéro. C'est tout au moins ce qu'il explique en partie à son public, lui laissant croire à une disposition spéciale de son anatomie.
Il sort alors d'un récipient 5 grenouilles, et 6 poissons rouges, et un à un, il va les avaler !
Une fois qu'il a accompli cela, il rallume une cigarette, en avale quelques bouffées, pour bien montrer que cela ne dérange pas les animaux qu'il vient d'ingurgiter. Il les garde ainsi quelques instants tout en devisant avec les spectateurs…
Il pourrait les garder ainsi plus de 2 heures. Les grenouilles pourraient rester plus longtemps, mais les poissons rouges, ne l'oublions pas sont maintenant dans une eau, qui, si elle est propre et pure, n'en est pas moins à la température du corps, soit environ 37 degrés centigrade.
Il annonce ensuite qu'il va appeler par leur nom chacun des poissons et grenouilles et que ceux-ci « referont surface ». Il les fait ainsi remonter à la demande, par le procédé qui est le sien et récupère délicatement les batraciens et autres petits carassins dorés à la commissure des lèvres, avant de les remettre dans leurs bocaux respectifs, tout frétillants et bien vivants.
Il salue alors son public. Un dernier air de musique l'accompagne. C'est la fin du numéro. Mac-Norton redevient Claude Louis Delair.
Les gens se souviendront longtemps de ce personnage au look très classe et décalé : habillé d’un costume à queue de pie noir, avec gilet blanc en coton piqué, chemise à col cassé et nœud papillon blanc avalant de la manière la plus naturelle qui soit ces petits animaux aquatiques, qui, nous dit-on, connaissaient parfaitement leur partenaire.
Jean-Paul Delair

Courrier des lecteurs

 L'Union Républicaine, Janvier 1923

En janvier 2016, dans le cadre d'un travail aux Archives sur les débuts du cinéma à Châlons, Nina Logoté, Marion Pourrier et Clémentine Varennes avaient écrit un article intitulé "Un divertissement parmi d'autres, une offre qui s'élargit". Elles s'appuyaient entre autres sur un placard de l'Union républicaine publié en 1923 où il était fait mention d'un mystérieux  Homme-Aquarium, nommé Mac Norton (document ci-dessus).

Or cet article a retenu l'attention du petit-fils de l'artiste, qui a laissé un commentaire. Nous avons pris contact. 

Il nous a répondu:

Je suis le petit-fils de Claude-Louis Delair, dit l’Homme-aquarium, et j’ai 69 ans, retraité bien sûr. Cela fait un bon moment que je rassemble, cherche, glane tout ce qui  peut avoir un lien avec ce grand-père que je n’ai presque pas connu ; au métier, il faut bien le dire, assez curieux. Je n’en savais pas grand-chose quand j’étais jeune, il me suffisait de savoir qu’il avalait des grenouilles et qu’il en avait fait un spectacle, comme d’autres sont plombiers ou charpentiers. Ma grand-mère n’en parlait pas trop, c’était son passé et leur fils unique, mon père, non plus. D’ailleurs, il passa son enfance en nourrice, puis en pension, tournées obligent. Et puis, nous ses  enfants ne lui posions pas de questions. Il y avait autre chose à faire à la maison.

C’est une malle trouvée dans leur grenier après le décès de ma grand-mère, qui me poussa à entreprendre sa biographie. On y trouvait ses contrats, quelques articles de journaux découpés au début de sa carrière, mais avec de grandes lacunes. Petit à petit j’essaie de recaler tout ça, d’ y ajouter des détails, des descriptions, au gré de mes «  découvertes » et de mon temps… Certains contrats «collent » au niveau des dates trouvées dans des archives en ligne, d’autres non. Les contrats étant souvent signés un an auparavant, d’où certains décalages, mais correspondent à la chronologie. Il faut dire qu’il y a de plus en plus d’archives sur Internet, alors je « fouille ». Bien plus facile que lorsque j’ai commencé ( car en même temps, il y a une partie généalogie qui vient s’y greffer).
C’est ainsi que j’avais noté pour l’année 1920 :
 «(…) l'Alhambra-Cirque de Châlons-sur-Marne qui l'engagera à  partir du 22 Octobre. »
( Le contrat est remonté avec les autres, dans un autre grenier et il faudrait que je le retrouve, savoir s’il y a des choses intéressantes ou pas, en plus).
> > Ensuite, il y a les séances du 19, 20, 21 Janvier 1923 que vous aviez dans vos archives et que vous m’avez envoyées. Là, j’avais noté, sans préciser la date  : « (…) Ensuite, en Janvier 1923, le Casino de Châlons-sur-marne et la salle du Carillon à Saint-Quentin reçoivent Mac-Norton, puis, c’est le cirque Municipal de Troyes pour 6 jours, etc … »

A notre demande, Jean-Paul Delair a accepté d'écrire une brève évocation de cet artiste hors norme, évocation que nous vous laissons découvrir dans l'article suivant.